MORTS,
RÉVEILLEZ-VOUS ! ON DÉMÉNAGE
février 2017
Un accord quelque peu
original par le rite sacro-saint qu’il se donne, et c’est le moins que l’on
puisse dire, a été signé entre l’Algérie et la France au mois de
juin 2005.
Une cérémonie funéraire auquelle y assistait le consul
de France et le représentant de la wilaya d’Alger vient de tirer
de l’oubli, 14 années plus tard, les vieux cimetières chrétiens de Aïn-Taya,
de Réghaïa, de Fort-de-l’eau, de Maison-Carrée, de Dar-el-beïda
… pourtant réputés vieux par leur âge, ou plutôt leur durée de mort et leur
rappeler tout bas qu’ils ont des morts à exhumer et qu’ils doivent faire vite,
et au plus vite, au risque de payer le prix … un prix fort.
Ces vieux cimetières chrétiens
viennent en effet d’en faire les frais et à grands frais et d’une manière pour
la moins surprenante et dans un décor bien sinistre.
Les autorités de ces deux
pays se sont donnés le mot et le dernier … il s’agit pour ces messieurs de
tirer de leur profond sommeil les nombreux morts qui reposent depuis la nuit
des temps dans ces vieux cimetières chrétiens et leur parler de transfert, un
petit voyage d’agrément et pour peu de temps, on n’en finit pas d’être
rapatriés 55 après.
Les restes mortels ont été
acheminés au cimetière chrétien de Belfort, non loin de l’ex quartier
nommé Lavigerie, aujourd’hui Mohammadia, où un carré leur a été
spécialement réservé à cet effet. Moins de frais et plus de place dans les
cœurs, dit le dicton.
Ce travail unique en genre et
en nombre, d’abord par l’aspect funeste qu’il présente, ensuite par le gros des
dépouilles mortelles retirées de terre, a nécessité une grande habilité
manuelle dans son exécution en raison de la tâche délicate auquelle se sont
retrouvés confrontés les services « funéro » sanitaires mobilisés
pour l’évènement.
On en recensera plus de 400
caveaux vidés de leurs sépultures à travers les différents cimetières chrétiens
éloignés de la capitale, Aïn-Taya, Réghaïa, Cinq-maisons, Fort-de-l’eau,
Maison-Carrée, Dar-el-beïda … et j’en passe. C’est un peu trop, me
diriez-vous et nous ne sommes pas à la fin. Il y’en a, et il y en aura,
beaucoup d’autres ou du moins dans les prochains jours.
Moins encombrant que les deux
premiers, en raison du peu de morts qui y règne, le petit cimetière chrétien de
Rouïba, fier de sa drève carrossable et de ce bel air champêtre, n’en
demande pas mieux que de laisser reposer en paix, loin de toute considération
politique. Si l’on s’en rapporte à certaines sources infondées, les locataires
de ce cimetière chrétien de Rouïba étant recensés d’origines espagnoles,
italiennes, portugaises, maltaises … et les services consulaires de ces pays
seraient déterminés à payer le prix… Une information, loin d’être plausible et
qui semble avoir fait son petit bout de chemin.
Dans ces vieux cimetières
chrétiens où flotte un parfum macabre, n’y subsiste à l’heure actuelle qu’un
terrain vague reconnaissable de loin à un cénotaphe qui nous rappelle
solennellement que les restes mortels des morts du cimetière chrétien de Aïn-Taya,
de Réghaïa, de Fort-de-l’eau, de Maison-Carrée, de Dar-el-beïda
ont été transférés vers le cimetière chrétien de Belfort pour y être
ré-inhumés en ce même endroit, à quelques pas du quartier de Lavigerie.
Certains amis de Aïn-Taya
ont pu remarquer sur les lieux la présence de l’un des membres de la famille Lozza
venu s’enquérir du nouvel emplacement de la tombe de ses aïeux.
Une grande artère municipale
scinde en deux le quartier de Belfort, aujourd’hui Hassan Badi,
à celui de Lavigerie où logeaient jadis la petite enseigne de l’industrie
des produits chimiques, de l’outillage mécanique, électrique et du commerce des
liqueurs, vins et spiritueux. Un léger tour de ceinture la ceint aux vieux
faubourgs de Maison-Carrée* et d’Hussein-Dey*
et nous invite à une petite promenade la main dans la main et à entrer même
dans la danse.
Belfort, un vieux quartier huppé
calme et paisible en ces temps anciens, qui accepte de renouer pour la
circonstance avec le passé et d’offrir les plates-bandes de son cimetière
chrétien à des gens qu’il connaissait bien et qu’il côtoyait de leur vivant. Un
geste qui va droit au cœur auquel n’est pas insensible la mémoire du cardinal
Lavigerie qui, en guise de remerciement, portera, dans l’au-delà, un toast
à la bénédiction de ceux qui n’appartiennent plus au monde des vivants et qui
acceptent de rallier leurs compagnons d’hier et leur offrir une petite place
parmi eux.
Rallier, un mot qui revient
souvent, en ces vieilles années sombres, dans la bouche des catholiques
français. Le cardinal Lavigerie a déjà porté un toast à la santé de ceux
et celles qui ont rallié à sa demande la république, à l’appel de Léon XIII,
en 1890.
-
Belfort, c’est dans cette belle cité, dite Cité
Radieuse que demeuraient les enseignants à l’Ecole Polytechnique et à l’Institut
National d’Agronomie et c’est dans ces charmantes villas cossues de Belfort
que résidaient les membres de l’ordre judiciaire, la corporation médicale,
pharmaceutique, bancaire, les chefs d’entreprise, la gent militaire et les
riches antiquaires.
-
Lavigerie, évoquer ce vieux quartier, c’est faire parler
les trappistes et leur bel environnement vallonné de vigne, leurs merveilleux
coteaux et leurs riches cépages, sans oublier le vieux couvent des Sœurs
missionnaires d’Afrique et le riche Domaine* des vins
de Sidi-Brahim.
-
Domaine des vins de Sidi Brahim, il fut affecté à l’Office
Nationale de Commercialisation Vinicole qui en fit un
entrepôt qu’elle destinera au conditionnement de ses vins (mise en bouteilles,
étiquetage, emballage et expédition de ses boissons alcoolisées.)
-
Vins de Sidi Brahim, on connaît l’immense
réputation dont jouissait en temps là, le vin de Sidi Brahim dont la
renommée dépassait les frontières algériennes. Un vin prestigieux, aussi
prestigieux que ceux de Mascara, Tlemcen, Zaccar, Dahra, Titteri, Médéa,
Aïn-Temouchent, Aïn-Bessem, Bouïra, Tessalah.
Aïn-Temouchent, Aïn-Bessem, Bouïra, Tessalah.
Une belle coupe de cheveux,
d’un vieux style, en vogue en son temps, qui lui donne l’allure d’un jeunot. Un
sourire angélique qui émane du plus profond de son âme. Des yeux de bébé qui
trahissent un regard de séducteur né. Une démarche droite et sereine, pleine
d’aisance, qui lui donne l’assurance d’un magistrat… Bitat, fut l’un des
hommes politiques qui aura le mieux incarné l’esprit révolutionnaire des anciens
de l’après 54.
Principal artisan de la
révolution algérienne dont il a été l’un des ténors, Bitat aura été l’un
des tout premiers militants à entrer dans la clandestinité et à rejoindre la
lutte armée, aux côtés de Ben-Bella, Aït-Ahmed, Boudiaf, Krim
Belkacem, Khider, Abane Ramdane et de tant
d’autres… il en sortira d’ailleurs, chef historique.
Forgé dans le moule des
enfants rebelles de la révolution de 45 - le M.T.L.D et le M.N.A
ne lui sont pas étrangers, ils furent les premiers partis qu’il rallia au début
des années 40 avant d’adhérer au F.L.N, parti, avec qui il restera en
alliance tout le restant de ses jours.
Bitat eut à occuper tout au long
de son parcours révolutionnaire et d’homme politique les portefeuilles
suivants :
-
Responsable de la zone autonome et chef du
réseau de Larbi Ben M’hidi.
-
Vice-président de la jeune république
algérienne au lendemain de l’indépendance.
-
Ministre des transports dans le gouvernement de
Boumédiène.
-
Président de l’Assemblée Populaire Nationale
sous Chadli… Un curriculum riche, à la hauteur d’un homme dont la vie a
toujours été au service de son pays.
Dénoncé par un compagnon de
lutte sur lequel les soupçons ne se portèrent même pas, Bitat fut arrêté
par la police française, en 57. Il eut à subir les pires sévices au cours de
son interrogatoire (machoire fracturée à coup de poing, langue lacérée au moyen
de fils d’électrode). Un handicap qui le privera d’une parfaite élocution du
langage et dont il gardera les séquelles tout le long de sa vie.
a.
LES LIENS SACRÉS DU PATRIOTISME
Bitat fut marié à Zohra Drif,
fille de l’ex cadi de Tiaret et ex agent de liaison de Yacef
Saâdi. C’est elle qui, en compagnie d’autres moudjahidates, déposa les
bombes qui explosèrent au Cafétéria et au Milk-Bar, un certain
jour d’un mois de Septembre 57. Avocate après l’indépendance, Zohra Drif
occupe aujourd’hui la fonction de cadre de la nation au Sénat.
b.
AU SERVICE DE SON PAYS
Intègre, irréprochable,
disent certains. Discret, peu bavard, mais strict dans son langage familier et
sa façon de s’habiller – le bleu étant sa couleur préférée. Il lui va à
merveille, affirment d’autres… . Bitat,
promenait en ces années 70, le look d’un homme politique bien dans sa peau.
Familier de la cour sous le
régime de Boumédiène dont il connaît les secrets, Bitat, fut le
doyen du cénacle présidentiel, il est considéré par ses proches comme étant
l’homme des situations délicates. Plusieurs missions de travail d’une extrême
importance lui furent confiées par Boumédiène et Chadli.
-
Poursuite des discussions autour des accords d’Evian
peu après l’indépendance.
-
Tentative de dénouement de la crise du Sahara
occidental.
On se demandait lors des
obsèques de Boumédiène, pourquoi la lecture de l’oraison funèbre fut
prononcée par Bouteflika, alors que l’honneur et le protocole y
revinrent à Bitat, lui qui assurait la vacance du pouvoir. Ce dernier qui
maîtrisait mal la langue d’Ibn Thaïmiya a préféré confier le soin
de la lecture de l’oraison funèbre, en ces moments douloureux, où la voix réclame
émotion et affliction, à Bouteflika, fervent adepte de la langue arabe,
qui s’en est d’ailleurs, sorti très bien.
Bitat quitta l’hémicycle de l’A.P.N,
le 3 avril 90, profondément ulcéré par l’expression outrancière « les
masques vont tomber » lancée par un ex premier ministre nommé Hamrouche
au langage et au comportement farfelus.
C’est au couple Bitat
qu’échoit également l’honneur d’être désigné* par Boumédiène
pour se rendre au domicile des Mansali*, une vieille et
honorable famille algéroise aux origines turques et demander la main de Anissa
.
Anissa est une très belle femme à
la beauté subtile et gracieuse qui s’était fait remarquer quelques mois
auparavant auprès du chef de l’État pour avoir intercédé en faveur de son père
sur un litige qui opposa ce dernier à la Caisse de Retraite.
Dans la plupart des cas, les
futurs époux ont déjà donné leurs accords respectifs. Les parents ne feront
qu’abdiquer. La visite de ces derniers n’est que formalité.
Maison-Carrée :
Un lien de sang unit Lavigerie à Maison-Carrée et à ses vieux
quartiers de La Cité Radieuse, Belfort, Bellevue, Beaulieu,
Cinq-maisons, Oued-Smar, B.G.A, Altairac (briqueterie), Durroughs (minoterie),
Zevaco, Botella, La Glaciére, Les Dunes, Boubsila, La Cressonnière, Gorrias, Prise d’eau …
Hussein-Dey : Un lien de lait rattache Lavigerie à
Hussein-Dey et à ses vieux faubourgs de La Faïence, L’engrais,
Dessoliers, Djenane Mabrouk, Cité d’Urgence, Leveilley, Sainte-Carinne, La
Montagne, Diar-Djemaâ, P.L.M, Fouquereau …
DÉsigné : Selon les vieilles coutumes musulmanes,
c’est aux parents du chef de l’Etat de se rendre au domicile des futurs beaux
parents pour y obtenir la main de la nouvelle mariée. Boumédiène, dont
les parents décédés depuis très longtemps, chargera le couple Bitat de
ce travail qui réclame tact et diplomatie.
Mansali : Une vieille famille algéroise de souche
établie depuis longtemps à Kouba.